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16 Septembre 2025

Inde : Libérez Umar Khalid — Cessez d’invoquer la loi antiterroriste pour faire taire les dissidents

Les organisations soussignées demandent la libération immédiate et inconditionnelle du défenseur des droits humains et militant étudiant Umar Khalid, arrêté le 13 septembre 2020 sur la base d’accusations fallacieuses et politiquement motivées, notamment pour des infractions présumées liées au terrorisme, et qui est toujours détenu sans procès cinq ans après.

En décembre 2019, le gouvernement dirigé par le Bharatiya Janata Party (BJP) a adopté la loi sur la modification de la citoyenneté (CAA). La loi établit une discrimination fondée sur la religion en excluant explicitement les musulmans de l’accès accéléré à la citoyenneté et de la protection législative contre l’expulsion et l’emprisonnement. L’adoption de la CAA, ainsi que le projet de registre national de la population, ont entrainé des manifestations pacifiques dans tout le pays, les manifestants craignant que des millions de musulmans ne soient exclus de l’accès à la citoyenneté. Un précédent similaire dans l’État d’Assam, dirigé par un gouvernement du BJP, a aggravé les inquiétudes. Umar Khalid avait activement exprimé son désaccord à propos de la CAA sur X (anciennement Twitter) et à l’occasion de discours à Delhi, Mumbai et Bihar, entre autres.

En février 2020, à la suite des élections législatives à Delhi, des violences communautaires ont éclaté dans le contexte des manifestations, faisant 53 morts — dont 38 musulmans — et des centaines de blessés. La police de Delhi n’a pas mené d’enquêtes efficaces et n’a pas traduit les auteurs en justice, favorisant ainsi l’impunité. Au lieu de cela, ils ont arrêté des manifestants pacifiques, dont au moins 18 étudiants et militants, la majorité d’entre eux étant musulmans comme Umar Khalid. Les autorités les ont accusés d’incitation à la violence et de complot visant à diffamer le gouvernement indien.

Umar Khalid a été arrêté le 13 septembre 2020 et accusé en vertu du Code pénal indien (remplacé depuis par le Bharatiya Nyaya Sanhita) de sédition, meurtre, apologie de l’hostilité entre les groupes religieux, rassemblement illégal et émeute. Il a également été accusé en vertu de la loi sur la prévention des activités illégales (UAPA) pour activités illégales et terroristes présumées et complot, ainsi qu’en vertu de la loi sur la prévention des dommages aux biens et de la loi sur les armes. En décembre 2022, un tribunal de Delhi a acquitté Umar Khalid dans une affaire d’émeutes, dégâts matériels et vandalisme. Cependant, il a été arbitrairement maintenu en détention — et continue de l’être à la prison de Tihar à Delhi — dans le cadre d’une affaire plus vaste de complot en vertu de l’UAPA, dans laquelle huit autres militants sont également accusés et restent derrière les barreaux après avoir vu leurs demandes de libération sous caution rejetées.

L’UAPA, avec sa définition très large de ce qui constitue un « acte terroriste », associée à des dispositions strictes en matière de libération sous caution et à de longues enquêtes, contribue à une détention prolongée et, dans de nombreux cas, indéfinie, ce qui bafoue le droit international relatif aux droits humains qui garantit le droit à la liberté, y compris la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable. La législation est utilisée de manière effrénée et sélective contre les défenseur⸱ses des droits humains, notamment les journalistes, les activistes de la société civile et les étudiants qui, comme Umar Khalid, sont toujours emprisonnés sans procès. En 2024, le rapport d’évaluation mutuelle du Groupe d’action financière sur l’Inde a souligné que les retards dans les poursuites judiciaires engagées en vertu de l’UAPA « entrainent un nombre élevé d’affaires en attente et de personnes accusées qui restent en détention préventive en attendant que les affaires soient jugées et conclues ». Le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme et plusieurs experts indépendants du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (procédures spéciales) n’ont cessé de faire part de leurs préoccupations concernant les dispositions vagues et trop générales de l’UAPA et son utilisation pour criminaliser le travail légitime en faveur des droits humains en Inde. Ils ont demandé à plusieurs reprises au gouvernement indien de cesser d’utiliser l’UAPA pour restreindre les droits humains et les libertés fondamentales. Amnesty International a également relayé ces préoccupations, soulignant le faible taux de condamnation en vertu de l’UAPA et les détentions prolongées, qui illustrent la façon dont la procédure elle-même est devenue une forme de punition, et a donc demandé son abrogation. Toutefois, les autorités indiennes n’ont pas répondu à ces appels.

Dans le cas d’Umar Khalid, l’accusation se base principalement sur le discours qu’il a prononcé dans la ville d’Amravati, dans l’État du Maharashtra, le 17 février 2020, pour invoquer la loi anti-terroriste, et fait référence à des expressions telles que « inquilabli salam » (salut révolutionnaire) et « krantikari istiqbal » (accueil révolutionnaire). Lorsqu’il a prononcé ces phrases, Umar Khalid félicitait les personnes qui participaient à l’événement d’avoir osé s’opposer pacifiquement à la loi discriminatoire dans le contexte politique actuel. Il ne s’agissait en aucun cas d’une incitation à la violence, mais plutôt de l’exercice par Umar Khalid de son droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique.

Toutefois, au cours des cinq dernières années, ses demandes de mise en liberté sous caution ont été rejetées au moins quatre fois par les juridictions de première instance et d’appel, et plus récemment le 2 septembre 2025. Sa requête devant la Cour suprême de l’Inde a été reportée au moins 14 fois en onze mois en raison des demandes d’ajournement de la part de l’État, de retards de calendrier et de récusations de juges, ce qui a finalement conduit Umar Khalid à retirer sa requête. Dans son dernier refus de libération sous caution, la Haute Cour de Delhi a qualifié les cinq années de détention provisoire de « rythme naturel » de la procédure, bien que le procès n’ait pas encore commencé et que les preuves n’aient pas été examinées sur le fond. La Cour a en outre estimé que les discours d’Umar Khalid, sa simple appartenance à des groupes WhatsApp et son rôle dans la mobilisation des manifestations font partie d’un « complot bien orchestré » sans démontrer de liens substantiels avec l’incitation à la violence. Ces refus répétés de libération sous caution, combinés à des retards persistants et à l’absence continue de procès, constituent une violation de son droit à un procès équitable, y compris à un procès rapide, garanti par la Constitution du pays et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel l’Inde est partie.

Nous sommes également préoccupés par l’application discriminatoire des normes de mise en liberté sous caution dans les affaires liées aux violences qui ont entouré les manifestations contre la CAA et, plus généralement, dans les affaires liées à l’UAPA. Tandis que des personnes accusées dans des cas similaires ont été libérées sous caution, tous les recours d’Umar Khalid continuent d’être rejetés. Une telle inégalité de traitement viole le principe d’égalité devant la loi et crée un précédent très inquiétant.

Des enquêtes indépendantes, menées notamment par Amnesty International Inde, Human Rights Watch et la Delhi Minorities Commission, mettent en évidence le rôle de la police de Delhi dans les violations des droits humains commises lors des manifestations contre la CAA et les violences qui ont suivi. Des policiers ont été filmés en train de passer à tabac, de torturer et d’infliger d’autres mauvais traitements, de procéder à des arrestations arbitraires et, dans certains cas, d’assister sans rien faire aux attaques de la foule contre les manifestants. Les tribunaux indiens ont critiqué à plusieurs reprises la qualité des enquêtes policières, les qualifiant de « très médiocres », « dures » et « entachées de multiples problèmes », et ont relevé des cas d’affaires montées de toutes pièces et de dossiers manipulés. Dans le même temps, de hauts responsables politiques ont tenu des propos haineux et incendiaires, qualifiant les manifestants de « traîtres » ou d’« être contre la nation », et ont ouvertement incité à la violence. Malgré l’existence de vidéos et de preuves documentaires, aucune mesure significative visant à réclamer des comptes n’a été prise à l’encontre des personnalités politiques ou des fonctionnaires de police impliqués.

La détention d’Umar Khalid n’est pas un cas isolé ; elle est emblématique d’un modèle plus large de répression auquel sont confrontés celles et ceux qui osent exercer leurs droits à la liberté d’expression et d’association. D’autres étudiants et activistes des droits humains, dont Gulfisha Fatima, Sharjeel Imam, Khalid Saifi, Shifa-ur-Rehman et Meeran Haider, sont également maintenus en détention pour s’être opposés pacifiquement à la CAA, tandis que les policiers et les dirigeants politiques responsables de l’incitation ou de complicité à la violence continuent de jouir de l’impunité. Ces poursuites sélectives sapent la confiance du public dans le système judiciaire, renforcent l’impunité des acteurs étatiques et criminalisent la liberté d’expression.

Par conséquent, nous exhortons le gouvernement indien à :

  1. Libérer immédiatement et sans condition Umar Khalid et toutes les autres personnes détenues uniquement pour avoir exercé leur droit de réunion pacifique et leur droit à la liberté d’expression ;
  2. Garantir l’égalité dans l’application des normes de libération sous caution et mettre fin au traitement discriminatoire des défenseur⸱ses des droits humains ;
  3. Demander des comptes aux fonctionnaires de police et aux dirigeants politiques contre lesquels il existe des preuves crédibles d’incitation à la violence et de complicité dans ce domaine ;
  4. Abroger l’UAPA ou la modifier pour la rendre pleinement conforme au droit international relatif aux droits humains ;
  5. Respecter, protéger et promouvoir les droits à la liberté, à un procès équitable, à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

Signé par :

  • Amnesty International
  • CIVICUS : World Alliance for Citizen Participation (Alliance mondiale pour la participation citoyenne)
  • FORUM-ASIA
  • Front Line Defenders
  • International Commission for Jurists
  • La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains
  • Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains