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22 Août 2025

Équateur : Le droit de défendre les droits menacé par le gouvernement du président Daniel Noboa

Front Line Defenders fait part de sa profonde inquiétude concernant la détérioration des conditions de défense des droits humains et de la nature en Équateur, et son impact sur les défenseur·ses dans ce contexte. Cette situation est imputable à une série de mesures institutionnelles et de nouvelles lois proposées par le gouvernement national qui ouvrent la porte à la fermeture d’espaces pour les droits fondamentaux, à la criminalisation des défenseur⸱ses des droits humains et des organisations de la société civile, et qui affectent l’accès à la justice et à l’information.

Élu en avril 2025 après un an et demi dans un gouvernement de transition, le président Daniel Noboa promeut des changements rapides et profonds dans les institutions équatoriennes qui menacent le droit de défendre les droits et augmentent les risques pour les défenseur·ses des droits humains et de la nature dans le pays qui sont dans une situation déjà préoccupante.

En juillet 2025, le gouvernement a réduit le nombre de ministères de vingt à quatorze par le biais du décret exécutif n° 60. Par conséquent, des ministères essentiels à la garantie des droits, tels que le ministère de la Femme et des droits humains, ont été intégrés au ministère du Gouvernement et réduits à un sous-secrétariat. Le décret prévoit également l’absorption du ministère de l’Environnement, de l’eau et de la transition écologique (MAATE) par le ministère de l’Énergie et des Mines, formant ainsi le nouveau ministère de l’Environnement et de l’Énergie. Cette décision élimine le contrôle autonome du secteur minier par le secteur environnemental, les pouvoirs du MAATE étant subordonnés à la politique d’extraction, ce qui affaiblit sérieusement la protection des écosystèmes et des communautés qui y vivent et augmente le risque de conflits socio-environnementaux. Cette décision est particulièrement préoccupante pour le paysage de la défense des droits humains en Équateur, où la plupart des cas de menaces contre les défenseur·ses se produisent dans des contextes de conflits socio-environnementaux, où de nombreux leaders sociaux sont criminalisés alors qu’ils ne cherchent qu’à garantir leur droit à la participation et à la consultation préalable lors des processus décisionnels sur les projets d’extraction mis en œuvre sur leurs territoires et dans leurs communautés.

Les mesures contenues dans le décret exécutif n° 60 sont incompatibles avec les engagements internationaux de l’Équateur en matière d’égalité et de droits humains au titre de l’accord d’Escazú, ratifié par l’Équateur en 2020, qui établit la nécessité de mettre en œuvre des mécanismes institutionnels pour l’accès à l’information et à la justice pour les questions environnementales, ainsi que des politiques publiques visant à protéger les défenseur·ses de l’environnement. La réduction du cadre institutionnel dédié à la promotion et à la protection des droits humains, repensé dans une logique de contrôle, de sécurité et d’ordre public, est préoccupante. Les politiques publiques relatives à la promotion des droits et à la protection des défenseur⸱ses des droits humains et de la nature ne semblent pas être à l’ordre du jour du gouvernement, ce qui se traduit par le fait qu’à ce jour, le pays ne dispose pas d’un mécanisme de protection des défenseur⸱ses des droits humains et de la nature.

En outre, le gouvernement équatorien a présenté une série de lois, toutes sous couvert de « projet économique urgent », qui obligent l’Assemblée nationale à les traiter dans un délai maximum de 30 jours, sans débat approfondi ni participation citoyenne. Notre attention se porte en particulier sur la « loi organique pour le contrôle des flux de capitaux irréguliers » 1, désormais appelée loi sur la transparence sociale et qualifiée par le président Noboa de « loi sur les fondations ». Selon lui, elle « vise à lutter contre les fondations qui cherchent à déstabiliser le pays », en particulier celles qui feraient la promotion de l’exploitation minière illégale. Le projet de loi présenté par l’exécutif associe formellement la société civile ou les organisations à but non lucratif à des activités terroristes ou illégales dans sa justification, affirmant qu’en recevant des fonds de diverses sources nationales et internationales, « les organisations de la société civile, les fondations, les entreprises, les ONG et les organisations communautaires (....) seraient “vulnérables à l’utilisation, consciente ou inconsciente, à des fins illicites”.

La loi de solidarité, également présentée par le pouvoir exécutif et adoptée par l’Assemblée nationale en un mois, est en vigueur depuis juin 2025 et établit un régime juridique spécial pour traiter les conflits armés internes, intégrant des mesures financières, fiscales et sécuritaires. À l’article 9, paragraphe 4, elle reconnaît les groupes d’autodéfense comme des “groupes armés organisés” sans établir de distinction claire entre les organisations communautaires légitimes et les structures armées liées au crime organisé. Cette ambiguïté pourrait conduire à la criminalisation des communautés paysannes et autochtones qui exercent leur droit constitutionnel à la résistance (art. 98) pour défendre leurs territoires contre les activités extractives ou contre les menaces à leurs droits collectifs.

Enfin, une autre initiative législative présentée par l’exécutif et déjà approuvée par l’Assemblée nationale est la “loi sur le renseignement”, qui vise à réglementer le système national de renseignement. La loi est critiquée par plusieurs organisations de défense des droits humains de la société civile, car elle risque de porter atteinte à des droits tels que le droit à la vie privée, la liberté d’expression et le droit de bénéficier d'une procédure régulière, en particulier en ce qui concerne l’interception des communications sans mandat.

Ces trois lois promues par l’exécutif, ainsi que l’affaiblissement des institutions chargées de la protection de l’environnement et des droits humains, représentent un risque sérieux pour la société civile et les défenseur⸱ses des droits humains. En faisant un lien entre les organisations de la société civile et des activités illégales, et en mettant en place des mécanismes de dissolution des organisations, de confiscation des actifs et d’ingérence dans le financement, ainsi que la création de nouvelles infractions pénales visant à criminaliser les groupes d’autodéfense, qui peuvent inclure des groupes de défense du territoire ou de lutte contre l’extraction, ces réglementations restreignent directement l’espace civique, en entravant le travail des organisations sociales, environnementales et de défense des droits humains. Ces dispositions mettent en péril la sécurité de celles et ceux qui défendent les droits humains et la nature en créant un cadre propice à leur criminalisation et à leur stigmatisation, ainsi qu’en violant la liberté d’association et le droit de participer aux affaires publiques.

Dans un pays où les conflits socio-environnementaux sont nombreux, ces mesures exposent les défenseur·ses à des représailles et limitent leur soutien institutionnel et leur accès à la justice. Début août, l’ancien MAATE a envoyé une lettre à plus de 400 organisations environnementales de la société civile et défenseur·ses de la nature renommés, leur demandant de soumettre leurs comptes rendus d’activités et leurs bilans administratifs des trois dernières années dans un délai de 48 heures, juste un jour avant les manifestations organisées par les groupes et organisations de défense de l’environnement contre la fusion des ministères.

À ce scénario s’ajoutent les déclarations publiques inquiétantes du président Noboa et d’autres hauts fonctionnaires de son gouvernement, tels que le ministre de l’Intérieur alors en poste, José de la Gasca, lors d’interviews accordées aux médias, dans lesquelles ils stigmatisent les organisations de la société civile, les mouvements sociaux et les défenseur⸱ses des droits humains et de la nature, les associant même à des groupes armés et à des activités illégales.

En réponse à l’avancement de la législation qui viole les droits fondamentaux, les organisations de la société civile équatorienne ont lancé plusieurs actions pour se protéger auprès de la Cour constitutionnelle, la branche judiciaire chargée de veiller au respect de la constitution du pays. Le 4 août 2025, la cour constitutionnelle provisoire a suspendu certains articles de trois des lois récemment approuvées, notamment des lois susmentionnées sur la solidarité et sur les renseignements le temps de réviser leur caractère constitutionnel, invoquant de possibles atteintes aux droits. Depuis, le président Noboa s’en est pris à plusieurs reprises à la cour constitutionnelle. Le 12 août, le pouvoir exécutif a organisé et mené une marche à Quito contre la cour, lors de laquelle des affiches montrant les noms et les visages des juges ont été brandies augmentant ainsi le risque pour leur sécurité et affectant l’indépendance judiciaire, selon la Cour elle-même. Les autorités gouvernementales et l’Assemblée ont qualifié la Cour d’“ennemi du peuple”.

Les organisations internationales condamnent ce harcèlement du pouvoir judiciaire par le pouvoir exécutif. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a averti que les déclarations et les actions contre la Cour “pourraient constituer des tentatives d’atteinte à l’indépendance judiciaire” et a appelé au respect de la séparation des pouvoirs. La CIDH a fait part de ses préoccupations à propos des actes et des discours qui menacent le travail indépendant de la cour.

Front Line Defenders exprime son inquiétude face au grave recul des droits humains en Équateur, qui se concrétise par une série de mesures législatives et institutionnelles qui affaiblissent le droit de défendre les droits des communautés et des organisations de la société civile, menacent la participation citoyenne et la défense des droits humains et de la nature.

Nous demandons instamment au gouvernement équatorien de ne pas poursuivre les initiatives qui intensifient les restrictions imposées à la société civile et aux défenseur⸱ses des droits humains. Il est essentiel que toutes les réglementations qui limitent indûment leur travail légitime soient abrogées ou modifiées, en veillant à ce que la législation nationale soit pleinement conforme aux normes internationales en matière de droits humains. Nous demandons en particulier au pouvoir exécutif et à l’Assemblée nationale de classer définitivement le projet de “loi sur la transparence sociale”, qui constitue une menace directe pour l’espace civique, les organisations de la société civile et les défenseur⸱ses des droits humains et de la nature.

De même, nous demandons instamment à l’État équatorien d’assumer sa responsabilité en mettant les droits humains en tête de l’ordre du jour. Cela implique de reconnaître publiquement le rôle positif et légitime de celles et ceux qui défendent les droits humains, de veiller à ce qu’aucun fonctionnaire ne contribue à leur stigmatisation ou à leur diffamation, et de présenter des excuses publiques lorsque cela se produit. Nous appelons également à l’adoption de mesures concrètes qui garantissent le droit de réunion pacifique et qui permettent à tous les défenseur⸱ses des droits humains de mener à bien leur travail sans crainte de représailles, d’acharnement judiciaire ou d’autres restrictions. Dans ce contexte, nous rappelons l’obligation de l’État de respecter la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme, de garantir l’application effective de l’accord d’Escazú et d’élaborer des politiques globales pour protéger les défenseur⸱ses des droits humains et de la nature, en garantissant leur sécurité, leur légitimité et le plein respect de leur travail en Équateur.

1 Actuellement en cours d’examen par la commission permanente spécialisée sur le développement économique, la productivité et les microentreprises de l’Assemblée nationale.