Déclaration conjointe : préoccupation concernant la réduction de l’espace civique au Chiapas, Mexique, en raison de la détérioration des conditions de défense des droits humains
Nous, les organisations soussignées, exprimons nos profondes préoccupations concernant la réduction de l’espace civique au Chiapas, Mexique, en raison de la détérioration des conditions de défense des droits humains. Nous demandons instamment à l’État mexicain de respecter son obligation de protéger et de soutenir publiquement les défenseur⸱ses des droits humains (DDH) et leur travail, et de mener des enquêtes approfondies sur les crimes commis à leur encontre. Nous exhortons la communauté internationale à prendre des mesures concrètes destinées à donner de la visibilité, à légitimer et à protéger les défenseur⸱ses des droits humains, et ainsi, protéger et promouvoir l’espace civique pour la défense des droits humains au Chiapas.
Cette déclaration est publiée en réponse à la récente descente de police au domicile de Dora Roblero, directrice du Centro de Derechos Humanos Fray Bartolomé de Las Casas (CDH Frayba), ainsi qu’à la surveillance, l’intimidation et le harcèlement persistants à l’encontre de cette organisation, qui entravent directement son travail fondamental de défense des droits humains dans l’État.
Le domicile de Dora Roblero a été perquisitionné le 22 juillet 2025 à San Cristóbal de Las Casas. Comme l’a déclaré Mary Lawlor, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits humains, à propos de cet incident, ce raid fait partie d’une série d’incidents de sécurité auxquels les membres de l’organisation sont récemment confrontés, dans un contexte de plus en plus difficile pour les défenseur⸱ses des droits humains au Chiapas. Depuis sa création, Frayba joue un rôle clé en soutenant les communautés, les victimes et les groupes dans leur lutte pour la paix, la justice et la vérité, un travail qui lui vaut de nombreuses attaques et agressions. C’est pourquoi, depuis 2010, Frayba bénéficie des mesures de précaution MC 52-10, accordées par la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Cette descente constitue une atteinte grave non seulement à l’intégrité personnelle de la directrice de Frayba, mais aussi à l’ensemble de son équipe. Il s’agit du second raid contre Frayba en moins d’un an, qui s’ajoute aux 46 attaques enregistrées depuis 2024. Nous trouvons particulièrement grave que certaines d’entre elles soient le fait de l’État fédéral lui-même, comme les déclarations diffamatoires de l’ancien président de la République en avril 2024.
La perquisition du domicile de la directrice de Frayba s’inscrit dans le cadre d’une série d’attaques soutenues et graves contre les DDH dans l’État. Depuis janvier 2024, l’Observatorio de Agresiones contra Personas Defensoras de Derechos Humanos y del Territorio en Chiapas (Observatoire des attaques contre les défenseurs des droits de l’homme et du territoire au Chiapas) — El Obse — a recensé 156 attaques, dont quatre assassinats, et un total de 131 personnes attaquées en représailles de leur travail en faveur des droits humains. Les types d’attaques les plus fréquents sont la surveillance, l’intimidation et la diffamation. Les incidents les plus graves sont le massacre à Nueva Morelia, à la frontière avec le Guatemala, le 12 mai 2024 ; le meurtre du prêtre tzotzil et DDH Marcelo Pérez Pérez le 20 octobre 2024 ; et les attaques contre les membres de l’organisation civile Las Abejas de Acteal en juin 2025 dans la communauté de Tzajalch'en. Des attaques armées ciblées et des explosions ont été perpétrées par des groupes criminels, et des membres des forces de sécurité de l’État ont menacé de criminaliser les DDH.
L’État du Chiapas est l’un des plus pauvres du pays et souffre d’une inégalité structurelle qui affecte principalement les peuples autochtones et leurs territoires, ainsi que les femmes et les enfants. Depuis 2021, cette situation est aggravée par la violence des groupes du crime organisé, ce qui exacerbe les violations des droits humains déjà présentes dans l’État, notamment les déplacements forcés, les disparitions forcées et la traite des êtres humains. Compte tenu de la réponse inadéquate de l’État face à cette crise, malgré le changement de gouvernement et le déploiement de sa stratégie de sécurité, le travail des organisations de la société civile joue un rôle fondamental. Selon l’Espacio de Organizaciones de la Sociedad Civil para la Protección de Personas Defensoras de Derechos Humanos y Periodistas (Espacio OSC), le Chiapas est le cinquième État qui compte le plus grand nombre de défenseur⸱ses et de journalistes en danger et faisant l’objet de mesures de protection (124) dans le pays. 5
Les organisations soussignées sont profondément préoccupées par plusieurs aspects qui reflètent le manque de garanties effectives pour exercer le droit de défendre les droits humains au Chiapas. Tout d’abord, nous sommes préoccupés par l’absence de soutien public de la part des autorités envers le travail légitime et fondamental effectué par les DDH, ce qui peut contribuer à leur stigmatisation, à leur faire perdre leur légitimité et accentuer leur vulnérabilité. Comme l’a déclaré la Commission interaméricaine des droits de l’homme, une politique de protection globale fondée sur la reconnaissance de l’importance du travail de défense pour la consolidation des démocraties et de l’État de droit est indispensable. Nous notons également que les engagements pris par l’État mexicain en matière de protection, tels qu’énoncés dans la loi de 2012 pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains et des journalistes, et dans le mécanisme de protection correspondant, ne sont pas respectés. Comme l’a souligné le Groupe de travail pour le renforcement du mécanisme de protection, malgré les progrès réalisés, les ressources techniques et économiques dont dispose cette institution et l’application d’approches globales, collectives et intersectionnelles pour la recherche et l’analyse, ainsi que dans la conception et la mise en œuvre des plans de protection, sont insuffisantes. À cet égard, la difficulté des autorités nationales à collaborer à l’application des plans du mécanisme, ainsi que la tendance récente à traiter les demandes de protection émanant d’organisations, de collectifs et de groupes de DDH sur une base individuelle, sans tenir compte de la dimension collective du risque, sont particulièrement préoccupantes.
À la lumière de ces événements, nous demandons instamment à l’État mexicain, tant au niveau fédéral qu’au niveau des États, de remplir son obligation de protéger les DDH, en garantissant leur intégrité physique et psychologique, ainsi que leur droit d’exercer leur activité sans craindre de menaces, d’être agressés ou criminalisés. Nous appelons les autorités à faire des déclarations publiques en faveur du droit de défendre les droits humains, ainsi que des enquêtes approfondies, impartiales et efficaces qui empêchent l’impunité et garantissent l’accès à la justice pour les victimes et leurs communautés.
Nous appelons également la communauté internationale à maintenir son attention sur la situation au Chiapas et à prendre des mesures concrètes, dans le cadre de leurs mandats respectifs, pour légitimer la défense des droits humains, soutenir activement celles et ceux qui l’exercent et veiller à ce que l’État mexicain respecte ses obligations internationales de protéger les défenseur⸱ses des droits humains et à enquêter sur les attaques dont ils font l’objet et de punir les responsables.
Nous attendons votre réponse à cette lettre et vous remercions par avance de votre attention.
Sincères salutations,
Organisations signataires :
- Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur·ses des droits humains
- Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains
- Amnesty International
- Asociación por la Paz y los Derechos Humanos Taúla per Mèxic
- International Service for Peace, SIPAZ
- Front Line Defenders
- Peace Brigades International (Brigades internationales de la paix) – Mexique
- Protection International Mesoamérica
- Center for Justice and International Law (CEJIL)
1 Mary Lawlor, Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits humains. 30 juillet 2025.
2 The Observatory for Human Rights Defenders in Chiapas, 29 July 2025.
3 SweFOR, VV.OO. 26 avril 2024. ‘Carta de Preocupación de organizaciones internacionales por la deslegitimación del CDH Frayba’
4 The Observatory for Human Rights Defenders in Chiapas, 29 juillet 2025.
5 Civil Society Organisations Space for the Protection of Human Rights Defenders and Journalists. 25 juillet 2025 « Espacio OSC exige garantías de protección para directora del Frayba tras allanamiento ».
6 Commission interaméricaine des droits humains. 27 juin 2023 CIDH Ongoing Violence Against Human Rights Defenders in the First Four Months of 2023″.
7 Civil Society Organisations Space for the Protection of Human Rights Defenders and Journalists. 24 septembre 2024 « Entregan informe a dos años del Grupo de Trabajo para el Fortalecimiento del Mecanismo de Protección para Personas Defensoras de Derechos Humanos y Periodistas ».
Destinataires
- Mtra. Rosa Icela Rodríguez Velázquez, Secrétaire d’État à l’intérieur
- Mtro. Félix Arturo Medina Padilla, Sous-secrétaire aux droits humains, à la population et aux migrations, ministère de l’Intérieur
- Dr Froylán Vladimir Enciso Higuera, Chef de l’unité des droits humains et de la coordination exécutive nationale du mécanisme fédéral de protection des défenseurs des droits humains et des journalistes, ministère de l’Intérieur
- Mtra. Tobyanne Ledesma Rivera, Directeur général du mécanisme fédéral de protection des défenseurs des droits humains et des journalistes, ministère de l’Intérieur
- Maria del Rosario Piedra Ibarra, Présidente de la Commission nationale des droits humains
- Dr Cesar Estrada Pérez, Directeur général des affaires internationales de la Commission nationale des droits humains
- Lic. Galván García Ricardo, Directeur général du programme de protection des journalistes et des défenseurs civils des droits humains de la Commission nationale des droits humains
- Dr Eduardo Ramírez Aguilar, Gouverneur de l’État du Chiapas
- Mtra. Patricia del Carmen Conde Ruiz, Secrétaire générale du gouvernement et de la médiation
- Lic. Floralma Gómez Santiz, Direction des droits humains du gouvernement de l’État du Chiapas
- Mtro. Jorge Luis Llaven Abarca, Procureur général, parquet général de l’État du Chiapas
- Lic. Jesús Ernesto Molina Ramos, Procureur en charge des droits humains, bureau du procureur de l’État du Chiapas
- Mtra. Claudia Irene Constantino López, Procureure des Hauts Plateaux de l’État du Chiapas
- Lic. Horacio Culebro Borrayas, Président de la Commission nationale des droits humains
Envoyé en copie à :
- Humberto Henderson, Représentant intérimaire du Haut Commissariat
- Maia Campbell, Représentante adjointe des Nations unies au Mexique, Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme au Mexique
- Francisco André, Chef de délégation, Délégation de l’Union européenne au Mexique
- Ambassadeur Gunnar Aldén, Ambassade de Suède au Mexique
- Ambassadrice Ragnhild Imerslund, Ambassade de Norvège au Mexique
- Ambassadrice Delphine Borione, Ambassade de France au Mexique
- Ambassadrice Johan Verkammen, Ambassade de Belgique au Mexique
- Ambassadeur Wilfred Mohr, Ambassade des Pays-Bas au Mexique
- Ambassadeur Pietro Piffaretti, Ambassade de Suisse au Mexique
- Ambassadrice Susannah Goshko, Ambassade britannique au Mexique
- Ambassadeur Cameron MacKay, Ambassade du Canada au Mexique
- Ambassadeur Ronald D. Johnson, Ambassade des États-Unis au Mexique
- Mary Lawlor, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits humains
- Roberta Clarke, Présidente de la Commission interaméricaine des droits humains
- Andrea Pochak, Rapporteuse de la Commission interaméricaine des droits humains

